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Épuisement professionnel, anxiété écologique, perte de sens, compétition avec l’intelligence artificielle… Selon le philosophe belge Pascal Chabot, intervenant à la conférence « USI 2025 » du lundi 2 juin consacrée à « la part incalculable du numérique », toutes ces « pathologies contemporaines », qu’il appelle « digitoses », proviennent d’une même source : le raccordement nouveau de notre conscience à un « surconscient numérique ».

Pour bien saisir cette transformation, il faut se souvenir de la façon dont les choses se passaient il y a quinze ans. Imaginez que « vous buvez un café avec un ami, échangeant des idées ».

Après cette conversation, « vous marchez et lors de cette promenade, vous dialoguez avec votre inconscient. Des éléments de la discussion vous reviennent en mémoire. Vous vous dites, tiens, cela m’a intéressé. Dans ce processus d’association libre et spontané », se produit un « couplage conscient-inconscient », poursuit-il. Mais aujourd’hui, ce schéma a changé. « Ce n’est plus du tout votre inconscient que vous allez solliciter. Vous allez immédiatement faire le geste », explique l’auteur de Un sens à la vie.

Connexion au surconscient numérique : une révolution silencieuse

Ce geste, que l’on reproduit plus de 250 fois par jour, consiste à « consulter l’écran de votre smartphone ». Cette action, apparemment anodine, « a engendré une transformation massive dans nos régimes de sens, nous connectant non plus à notre inconscient, mais à un “surconscient” numérique », décrit comme« un dôme d’information, de connexion, de réseau ». En d’autres termes, « je ne dialogue plus uniquement avec moi-même, mais je suis interrompu par la consultation de mon téléphone ».

Selon le philosophe, il est impératif d’examiner « ce nouveau couple formé par notre conscience et notre surconscient numérique, ainsi que l’IA que nous utilisons de plus en plus. Je dis bien couple, car pour moi, l’IA n’est pas une entité extérieure à la conscience humaine, mais elle est de plus en plus liée à notre conscience ». Cela représente une « métamorphose radicale », souligne-t-il.

Lorsque notre conscience et le surconscient numérique entrent en conflit, naissent les « digitoses », ces « grands troubles psychiques contemporains » tels que le « burnout, l’écoanxiété ou la rivalité avec les IA ». Pascal Chabot a détaillé ces digitoses, en commençant par l’éco-anxiété.

Le défi de l’orientation et de la trajectoire

« Le monde tel qu’il est, perçu par nos sens, nous inonde d’informations. Entre le monde tel qu’il est ressenti et celui qui devient, il y a un problème de trajectoire, un véritable problème d’orientation. C’est ce qu’on appelle l’écoanxiété », affirme-t-il. On se dit, « ce monde va devenir soit difficilement vivable, soit transformé par le changement climatique ». Cela découle de « notre connaissance du futur, une connaissance qu’aucune génération précédente n’a jamais eue », explique-t-il.

Autrefois, le futur n’était pas une source de préoccupation majeure, car il était « la répétition du présent ». Aujourd’hui, « si vous êtes face à un glacier, par exemple, vous prenez votre téléphone… et vous verrez quatre ou cinq projections sur l’évolution de sa taille… Cela peut être une source d’éco-anxiété pour ceux qui refusent de voir ou qui croient en un récit optimiste », mais pour d’autres, cela génère une anxiété dont on ne sait « pas très bien quoi faire ». Il s’agit « d’une pathologie mentale contemporaine pour laquelle les catégories psychanalytiques traditionnelles sont inopérantes », analyse le philosophe belge.

La scission : être présent tout en étant ailleurs

Il existe aussi la « digitose de scission », une séparation entre être physiquement présent et être simultanément très loin « dans les récits que l’on se raconte ou entend ». Dans le monde professionnel, par exemple, « on est à son poste de travail, le corps est là, mais mentalement, on est ailleurs ».

C’est une « digitose qui affecte notre rapport entre sensations et significations », ajoute-t-il. Une autre maladie contemporaine est le burnout, que le philosophe a étudié il y a plus de quinze ans. « J’y voyais une pathologie de civilisation », se souvient-il. « On épuise les humains en même temps qu’on épuise toutes les ressources, humaines et non humaines. Cela est lié à une civilisation du trop, de l’injonction, et du branchement continu au surconscient », poursuit-il.

La rivalité avec l’IA : vers une post-histoire ?

La digitose de la rivalité, selon Pascal Chabot, « est déjà ressentie inconsciemment ». « La rivalité, c’est le fait de devenir toujours plus couplé avec une intelligence artificielle qui, lorsque tout fonctionne bien, augmente nos capacités. Mais la rivalité pourrait devenir plus frontale », prévoit-il. « Nous déléguons l’écriture aux machines », alors que l’histoire humaine commence avec l’écriture, qui sépare l’histoire de la préhistoire, souligne le philosophe.

« Lorsque l’écriture devient de moins en moins humaine, les machines écrivant aussi bien, voire mieux que nous, nous entrons dans une sorte de post-histoire ». Et cela crée « soit une frustration, soit une dépossession, en tout cas, une rivalité avec ce monde de l’intelligence artificielle », estime-t-il. Cela représente « un avenir possible où les humains sont toujours plus couplés à un surconscient qui dominera probablement les consciences », avance-t-il.

Pascal Chabot évoque finalement une dernière digitose : l’impossibilité de produire un travail de qualité dans certaines entreprises, adeptes du “vite fait mal fait”. C’est « extrêmement violent lorsque les injonctions de travail contredisent les standards de qualité personnelle ». Le travailleur doit alors « effectuer un grand écart : produire rapidement avec les moyens disponibles, même s’il aurait préféré faire autrement ».

Une entreprise « respectueuse des employés fait confiance à leurs standards de qualité, car ce sont eux qui connaissent le mieux le travail à accomplir », explique le philosophe.

Progrès humain en péril ?

Pour le penseur belge, ces pathologies découlent aussi de la division entre le « progrès technoscientifique » et le « progrès humain ». « Je propose qu’il y a deux grands types de progrès », affirme-t-il. D’une part, le progrès « utile, technoscientifique, technoéconomique », illustré par « tous les téléphones que vous avez utilisés », « ce progrès qui drive notre civilisation et s’accélère grâce à un capital d’invention tel que tout ce qui a été inventé reste acquis pour toujours ».

En parallèle, « il y a le progrès humain, subtil, dans l’art d’être connecté aux autres, d’être juste dans nos paroles, d’être lié à la terre ». Ce progrès « est en crise aujourd’hui, dominé par un progrès technoscientifique si puissant qu’on aimerait le voir servir à un progrès humain, subtil. Parfois, c’est le cas, mais souvent, on observe une disjonction, une division ». Or, le véritable progrès « n’est pas seulement technoscientifique, mais inclut les dimensions utile et subtile ».

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